Une révolution discrète, locale et qui ne cherche à convaincre personne a déjà eu lieu
Un texte magnifique ! Le monde actuel vu à travers les yeux d’une quinzaine de jeunes adultes “le Collectif Catastrophe” dont on ne trouve nulle trace par ailleurs sur le web. Le point du vue porté sur la société est certes sans illusion mais le regard ouvert sur l’avenir n’a rien de catastrophique, il est même riche d’espérance. Il montre que l’avenir est entre nos mains et qu’à partir de là, nous avons tout à réinventer !
Découvrez le texte intégral sur le site de Libération et ci-dessous quelques extraits choisis…
Puisque tout est fini, alors tout est permis
“Au lycée, on nous avertit d’emblée que l’Histoire était finie. On nous expliqua que Dieu, le Roman et la Peinture étaient morts. Sur les murs de la capitale, on nous apprit que l’Amour l’était aussi. Nous n’en connaissions pas le visage que déjà, nous n’avions plus le droit d’y croire.
Étant tout sauf désabusés, nous n’avons plus d’autre choix que celui d’inventer une nouvelle voie. La place est déjà prise ? Trop prisée ? Nous irons ailleurs, explorer. Sur les ruines des Trente Glorieuses, certains d’entre-nous au-dessous du seuil de pauvreté, nous ferons très exactement ce que nous voulons. Tant pis pour le confort, tant pis pour la sécurité, et tant pis si nous ne sommes plus capables d’expliquer à nos parents ce que nous faisons de nos journées. Nous sommes soutenus par l’amour que nous nous portons. On nous l’a de toutes manières assez répété: il n’y a plus d’issue. Dont acte.
A distance d’un théâtre politique dont on ne comprend plus la langue, nous aspirons à l’émancipation, quitte à consentir à une certaine précarité. Le système D s’ouvre, comme une alternative possible au salariat. Nos petites entreprises côtoient, et à nos yeux égalent, les grandes institutions. Dans les marges et grâce à Internet, nous explorons les micro-économies souples. Les intermédiaires sont court-circuités. Nous produisons et distribuons notre propre miel. Plus rien n’est entre nous et la musique: l’énergie et la foi suffisent pour la créer, un ordinateur pour la mixer et la distribuer tout autour du monde. Nous sommes cosmopolites mais pratiquons le local: dans des sphères restreintes et de fait habitables, nous façonnons des objets qui nous ressemblent, puis nous les partageons. Dans nos potagers numériques, nous cultivons les liens, IRL comme URL, échangeant nos enthousiasmes, nos connaissances et les nuances de nos vies intérieures. Partout, nous nous réapproprions nos heures. Par la conversation, nous prenons le temps d’inventer des mots nouveaux pour désigner des choses nouvelles. Nous sommes indépendants, multitâches et bricoleurs. Conscients de notre chance comme de l’effort à fournir, nous refusons le cynisme et la plainte. S’il faut manger des pâtes, nous les mangeons sans rechigner. S’il faut sacrifier les vacances, nous l’acceptons. Nous échangeons nos vêtements, nos logements, nos idées.
Sans faire de bruit, une révolution discrète, locale et qui ne cherche à convaincre personne a déjà eu lieu. Nous acceptons désormais d’être sans statut, retirés dans les marges joyeuses, par nécessité comme par choix. L’avenir est pour nous dans les friches. C’est dans les terrains encore vagues qu’adviendra une nouvelle renaissance. Nous ne réclamons ni n’attendons plus rien de la société telle qu’elle va: nous faisons. Par-dessus tout, et fragilement.”
Par le Collectif Catastrophe